Boeing : mauvaise culture d’entreprise, mauvaises conséquences

À la recherche de profit, Boeing a changé sa culture d’entreprise et cela lui a coûté cher, en termes d’image et financièrement parlant.

La compagnie aérienne Boeing, géant de l’industrie, s’est hissé à son rang par sa culture d’entreprise, culture de produire de la meilleure qualité possible. Cependant, cette culture d’entreprise s’est transformée en ayant des conséquences néfastes sur l’entreprise.

En 2018 et 2019, deux accidents tragiques sont survenus lors de vols à bord du nouveau Boeing 737 MAX. Le documentaire « Downfall » décrit comment ces incidents sont une conséquence directe de la mauvaise gestion de l’entreprise, notamment par une culture d’entreprise qui favorise le profit à la sécurité.

Cet exemple d’une entreprise axé sur le rendement, l’augmentation des profits et une guerre économique contre son rival Airbus, montre à quel point une bonne, comme une mauvaise culture d’entreprise, modifie la stratégie de cette dernière, sa gestion et in fine sa valeur.

Aperçu

Le documentaire « Downfall » revient donc sur ces accidents tragiques, survenus à un intervalle de moins de 5 mois seulement à bord de nouveaux avions lancés par la compagnie, les 737 MAX (lancés en 2016). Ces avions ne sont pas de nouveaux avions à proprement parler, c’est une nouvelle version du modèle d’avion en ligne le plus produit, à ce moment-là, le 737.

Boeing, qui était l’un des deux géantes aéronautiques (avec Airbus), n’avait pas connu dans toute son histoire un tel événement. En effet, la compagnie basée à Seattle aux USA depuis 1916, a été non seulement un pionnier, mais aussi un leader depuis, dans le monde de l’aéronautique, de l’aérospatiale et de la défense.

À partir des années 1990, la culture d’entreprise change suite à des fusions et acquisitions de concurrents, étant dans une lutte commerciale contre Lockheed (leader dans le domaine de la défense) et Airbus, le concurrent européen qui gagne de plus en plus de part de marché depuis sa naissance, en 1970.

Cependant, en mars 2019, il y a eu une suspension des vols de Boeing 737 MAX, soit par décret gouvernemental, soit par la volonté des compagnies aériennes. Des centaines d’avions sont alors cloués au sol, et la mauvaise publicité pour Boeing fait son plein.

On veut alors faire la lumière sur ces affaires pour en connaître la cause.

Étude

Boeing est décrit par ses employés de l’époque (jusqu’au milieu des années 1990), comme une entreprise où la culture d’entreprise était favorable à leur épanouissement et par conséquent, un bon environnement de travail. La compagnie aérienne connaît alors une croissance pérenne, car l’accent est mis sur la sécurité, et la réputation de la qualité Boeing a pour conséquence sa position de leader sur le marché.

Les salariés baignent dans une culture d’entreprise comparable à celle de chez Toyota (Lean management), où si l’un des salariés (peu importe son rang) signale un défaut dans la production et l’a fait arrêter pour la faire constater et réparer, il est alors félicité. Cela va de pair avec l’idée de primauté de la sécurité de la qualité, mais même d’un point de vue économique cela a un impact positif, car améliorer ce défaut maintenant sera moins cher que plus tard, lors d’un rappel ou d’un incident.

Cependant, à partir du milieu des années 1990, Airbus en gagnant petit à petit des parts de marché de Boeing, et en voyant ses efforts dans le domaine de la défense ne pas à la hauteur du leader Lockheed, Boeing a alors fusionné et a fait acquisition de concurrents pour « mieux » faire face à cette concurrence.

Mais, le problème étant que les cadres dirigeants de ces entreprises ont alors pris la direction de Boeing. La culture d’entreprise s’est alors rapidement transformée en une culture focalisée sur le profit par l’augmentation de la valeur du cours boursier. Ses dirigeants étaient alors focalisés sur le cours de l’action, qui devait augmenter pour générer des profits pour les actionnaires.

Boeing a notamment déplacé, en 2001, son siège social vers Chicago, place financière.

En effet, le CEO de l’époque, Philip Condit a choisi d’isoler le siège social de Boeing de sa production, pour ne pas avoir de lien avec la gestion « day-to-day». Or, ce changement a donc cassé la culture d’entreprise histoire de la compagnie.

“Lorsque le siège social est situé à proximité d’une entreprise principale, comme le nôtre l’était à Seattle, le centre de l’entreprise est inévitablement entraîné dans les opérations commerciales quotidiennes.”

Aussi, le président de l’époque, Harry Stonecipher, à notamment avoué :

“Quand les gens disent que j’ai changé la culture de Boeing, c’était l’intention, pour qu’elle soit gérée comme une entreprise plutôt que comme une grande société d’ingénierie.”

Les salariés ont alors très rapidement perçu un changement de cette culture, non plus axé sur la qualité, mais plutôt axé sur la rentabilité. Les salariés n’étaient alors pas en mesure de se préoccuper de la qualité du produit, car ils étaient mis sous pression pour produire le plus rapidement possible dans des conditions moins favorables. Ces salariés devaient alors produire davantage avec moins de conditions qu’auparavant.

Les conséquences sur la sécurité et la qualité des produits finaux ont alors été néfastes. L’assemblage de ces avions était réalisé à la hâte et posait de sérieux problèmes techniques et sécuritaires.

Du point de vue concurrentiel, à la fin des années 1980 jusqu’en 1996, date de la fusion entre Boeing et McDonnell Douglas, la compagnie de Seattle avait en moyenne deux fois plus de commandes que son homologue européen. Cependant, à partir de cette fusion, Airbus a rattrapé son retard, et même au cours des années suivantes prit la place de leader sur ce marché.

Boeing vs Airbus

Sources : Boeing, Airbus

(En nombre de commandes ; Suite au deuxième accident du 737 MAX, Boeing a même eu des commandes annuelles negatives, c’est-à-dire plus d’annulation que de nouvelles commandes.)

En effet, Airbus a davantage misé sur une stratégie de gains de part de marché, comme avec l’A380 pour concurrencer le monopole du 747, plutôt qu’une stratégie focalisée sur le profit pur. Cela s’explique notamment par le fait qu’étant une entreprise européenne, et détenues par des Etats notamment (non seulement des acteurs privés), la culture de la maximisation du profit est moins existante.


Selon Norm Dicks, « Mr. Boeing » de la chambre des représentants de l’État de Washington, d’où Boeing est originaire :

“En 2003, la valeur des commandes d’Airbus était plus de deux fois supérieure à celle de Boeing.”

Par ailleurs, avec ces accidents, l’image de Boeing, avant même la découverte de ce qui en était la cause, a dégradé l’image de la compagnie, ce qui s’est répercuté bien évidemment sur le nombre de commandes. Alors même que la compagnie a connu une croissance au niveau de son histoire par sa fiabilité et sa réputation de qualité, c’est ce qui leur faisait défaut à ce moment-là et qui a eu pour conséquence l’inverse, c’est-à-dire une perte de part de marché.

Maintenant, reprenons le lien entre les incidents et ce changement de culture d’entreprise.

Ces incidents étaient survenus hors territoire américain. C’était là donc la ligne de défense de la compagnie, qui par la voix de leur CEO affirma qu’il n’y avait aucun problème au niveau de la conception de leurs appareils. Ces accidents étaient la faute des compagnies aériennes en question, notamment due à un mauvais entraînement des pilotes.

Or, lors d’investigations plus approfondies pour déterminer la cause de ces accidents, qui ne pouvaient pas être le fruit du hasard, on a étudié la conception des 737 Max de plus près. Cet avion avait été mis à jour au niveau de sa conception pour rivaliser avec l’Airbus A320neo qui venait de lancer une nouvelle version et qui gagnait beaucoup de parts de marché.

Le Boeing 737 n’avait pas été renouvelé au niveau de sa conception depuis des décennies. La compagnie américaine a alors décidé d’intégrer de nouveaux moteurs, plus grands, mais aussi plus efficaces au niveau de leur rendement, dans cet ancien fuselage. Mais, avec cet avion vieux de 50 ans, Boeing a voulu en quelques mois le lancer sur le marché pour concurrencer le plus rapidement possible le nouvel Airbus. En effet, s’ils avaient créé un nouveau concept, mieux adapté aux nouveaux moteurs, ils auraient dû passer des tests pour certifier l’avion et cela aurait pris beaucoup plus de temps.

Le problème étant alors que ses moteurs étaient incompatibles avec ce design, la structure même de cet avion, et ils pouvaient ainsi poser des problèmes sécuritaires, dus à un mauvais aérodynamisme.

Après des tests qui se sont avérés inquiétants, Boeing a décidé de mettre en place un système correctif appelé MCAS. Ce système, intégré dans l’avion, prenait la priorité sur les commandes du pilote. Si le système de l’avion ressentait un déséquilibre de l’aéronef, il essayait alors de redresser l’avion et le pilote n’avait que quelques secondes pour reprendre les commandes de l’appareil.

Cependant, ce nouveau système n’était pas connu de la part des pilotes, car même à la demande de certains d’entre eux, Boeing ne voulait pas investir dans cette formation.

À la lumière de ces révélations, et à la priorité du profit sur la sécurité des produits Boeing, la société a procédé à une sorte de « plaider coupable » pour éviter le procès. Dû aux suspensions des vols, et aux conséquences de ces accidents, la compagnie a réalisé une perte annuelle au niveau financier. Cette perte varie selon les sources, mais se chiffre en milliards de dollars. Or, à cela, nous devons ajouter les conséquences indirectes dans le long terme comme la dégradation de l’image de la compagnie et l’annulation de nombreuses commandes. Son concurrent Airbus a alors profité de cette occasion pour gagner davantage de parts de marché.

Par ailleurs, l’A320 est depuis devenu l’avion de ligne le plus vendu de l’histoire de l’aviation. Boeing se précipitant pour contrer cela, a finalement aidé son concurrent.

Par cette culture d’entreprise focaliser sur les profits, Boeing à négliger ce qui l’avait propulsé aux devant de la scène, c’est-à-dire la qualité. Pour conséquence, l’inverse de ce qu’il souhaitait est arrivé, c’est-à-dire un impact négatif sur la valeur de l’entreprise, et donc sur le cours de l’action.

Cours de l’action affecté par le deuxième accident

Source : Yahoo Finance

(Suite au deuxième accident du 737 MAX, Boeing a vu son action chuter de plus de 10% en seulement deux jours.)

Opinion

Cela paraît un peu simple comme message, au travers de ce cas concret, que si une entreprise se focalise uniquement sur les profits (image un peu cliché du capitalisme extrême), il y aura des conséquences néfastes sur l’entreprise et sa valeur. Or, ce cas bien précis d’une des compagnies les plus importantes du monde, avec une réputation si importante, ayant connu un impact négatif si puissant par de mauvais objectifs, traduit par une mauvaise culture d’entreprise, nous montre à quel point la notion de culture d’entreprise est primordial dans tout projet entrepreneurial.

La culture d’entreprise est ce qui va porter un projet, car c’est ce qui va définir à l’interne ce que l’on veut véhiculer comme message, comme ADN du projet. Cette culture d’entreprise va définir la stratégie du projet, elle aussi va définir la qualité de travail, ou non, de ses salariés.

Il est important de noter que dans ce cas précis, cette mauvaise stratégie (focalisée sur le profit) est liée directement aux conséquences de perte de marché (ainsi que de drames humains). Dans de très nombreux cas, ce lien n’est pas si tangible, si visible.

Conclusion


La culture d’entreprise peut paraître parfois comme une notion abstraite, assez vague, et parfois même exagérée dans la gestion d’une entreprise. Alors dans ce cas, nous pouvons constater que la culture d’entreprise est un point crucial, au cœur même d’un projet entrepreneurial.

Malheureusement, cette mauvaise gestion de l’entreprise Boeing, a été révélée par ces deux accidents.

Le développement et le succès de cette entreprise ont été historiquement basés sur la sécurité. La culture d’entreprise qui a primé était celle de l’excellence, de la qualité de leurs produits au-dessus de tout le reste. Suite aux fusions et acquisitions pour augmenter leurs profits, une nouvelle culture d’entreprise axée sur cet aspect pécuniaire, a transformé totalement leurs priorités.

Ce qu’il est primordial de noter ici, c’est que cela a eu pour conséquence la perte des parts de marché et donc des profits. Si Boeing avait continué dans sa culture d’entreprise historique, de créer de la valeur par la qualité, elle n’aurait pas connu ses méfaits, et n’aurait pas perdu ces milliards de dollars.

L’échec de Boeing de ces dernières années est dû à cette culture d’entreprise , alors que l’ancienne culture d’entreprise avait permis à cette même compagnie de connaître un succès si fulgurant.

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